Un jour qu'il faisait nuit
Il s’envola au fond de la rivière.
Les pierres en bois d’ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.
Tout rien.
Je la hais d’amour comme tout chacun.
Le mort respirait des grandes bouffées de vide.
Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés.
Après cela il descendit au grenier.
Les étoiles de midi resplendissaient.
Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine.
Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.
En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.
Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.
Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l’aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.
La pluie nous sécha.
Robert Desnos - Extraits de Corps et biens Langage cuit (1923)
A la Mystérieuse
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps
d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la
naissance de la voix qui m'est chère? J'ai tant rêvé de toi que mes
bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être. Et que,
devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis
des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.O
balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps
sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes
les apparences de la vie et de l'amour
et toi, la seule qui compte
aujourd' hui pour moi,
je pourrais moins
toucher ton front et tes
lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu. J'ai tant
rêvé de toi, tant marché,
parlé, couché avec
ton fantôme qu'il ne me
reste plus peut-être, et
pourtant, qu'à être fantôme
parmi les fantômes et plus
ombre cent fois que
l'ombre qui se
promène et se
promènera
allégrement
sur le cadran
solaire de ta vie.
Robert Desnos 4 juillet 1900 - 8 juin 1945
La fourmi
Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais
Ça n’existe pas, ça n’existe pas..
Eh ! Pourquoi pas ?
Le pélican
Le Capitaine Jonathan,
Etant âgé de dix-huit ans
Capture un jour un pélican
Dans une île d'Extrême-Orient,
Le pélican de Jonathan
Au matin, pond un œuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.
Et ce deuxième pélican
Pond, à son tour, un œuf tout blanc
D'où sort, inévitablement
Un autre, qui en fait autant.
Cela peut durer pendant très longtemps
Si l'on ne fait pas d'omelette avant.
Vent nocturne
Sur la mer maritime se perdent les perdus
Les morts meurent en chassant
des chasseurs dansent en rond une ronde
Dieux divins! Hommes humains!
De mes doigts digitaux je déchire une cervelle
cérébrale.
Quelle angoissante angoisse!
Mais les maîtresses maîtrisées ont des cheveux chevelus
Cieux célestes
terre terrestre
Mais où est la terre céleste?
Robert Desnos - Extraits de Corps et biens (1930)
Le dernier poème
J’ai rêvé tellement fort de toi,
J’ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu’il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres
D’être cent fois plus ombre que l’ombre
D’être l’ombre qui viendra et reviendra dans ta vie ensoleillée
Robert Desnos