André BRETON définit le Surréalisme comme un "automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale."
Procès-verbal
Cet individu était seul
il marchait comme un fou
il parlait aux pavés
souriait aux fenêtres
pleurait en dedans de lui-même
et sans répondre aux questions
il se heurtait aux gens, semblait ne pas les voir
Nous l'avons arrêté.
Jean Tardieu, (Histoires obscures, 1961)
Y en a qui ont des trompinettes
de Boris Vian
Y en a qui ont des trompinettes
Et des bugles
Et des serpents
Y en a qui ont des clarinettes
Et des ophicléides géants
Y en a qu'ont des gros tambours
Bourre Bourre Bourre
Et ran plan plan
Mais moi j'ai qu'un mirliton
Et je mirlitonne
Du soir au matin
Moi je n'ai qu'un mirliton
Mais ça m'est égal si j'en joue bien.
Oui mais voilà, est-ce que j'en joue bien ?
Comme une pomme, cueille la vie
Cueille la vie comme une pomm' d'api
Comme une fleur, comm' une grapp' de raisins
Et t'en fais pas pour les pépins.
Cueille sans remords et sans hésiter
Plante tes dents dans les fruits de l'été
Sans t'occuper des gros chiens du fermier
Qui voudraient bien t'en empêcher.
Cueille les jours qui passent
Cueille tous les espoirs
Sans faire la grimace
S'il vient à pleuvoir
Si les hirondell's volaient tout's à tire-d'ailes
En plein mois d'Novembr', ell's pourraient fair(e) le printemps.
Cueille la vie comme une rose bleue
Et glisse-la dans le livre doré
Le livre d'or où dort tout ton passé
Et tous tes souvenirs heureux.
Fais un bouquet contre le cafard
Bouquet de joie pour t'éclairer dans l'noir
Bouquet d'amour, de rêve et de baisers
Et de matins dans la rosée.
Cueille les jours de larmes
Cueille les jours d'émoi
Cueille les heures de charme
Cueille tout à la fois.
Vis comm' la cigale, donn' ton cœur à tout' la terre
Donne à pleines mains, donne, donne, donne, ne garde rien.
Cueille une chanson dans le vent qui s'lève
Une illusion, un beau mirage, un rêve,
Un air de fête au fond d'un soir d'Avril
Et tout sera tellement facile
Va cueille une pomme vermeille
Cueille ce plaisir sans pareil
Cueille, cueille, un grand morceau de soleil !
(Cueille la vie) ---
Les frères - Boris Vian (1920-1959)
Dans un chemin banal
du côté de la Somme
il y avait quatre hommes
et pas de caporal
Le premier s’appelait Jules.
Il posait des gouttières et réparait les vitres
et dans sa vie privée, il était somnambule
Tous les lundis matin, il avait mal au crâne
Y a qu’à la fin d’la s’maine que l’on se porte bien
Ses cheveux étaient frisés
nez droit, yeux bleus
bouche ordinaire, et menton rond
taille : un mètre soixante-deux
signes particuliers : néant.
Un jour, il fit la connaissance
d’une fille très remarquable,
elle n’était pas comme les autres.
Vu qu’il penchait pour la décence
et qu’elle voulait rester convenable
ils firent de leur côté ce que l’on fait du nôtre,
ils eurent de ce fait deux enfants sans effort.
Le second s’appelait Victor.
Il vendait des cravates et des pierres à briquet
et dans sa vie privée, il souffrait de ses cors.
Tous les lundis matin, il buvait beaucoup d’eau
y a qu’à la fin d’la s’main que l’on se porte bien.
Son nez ? Un nez busqué
zyeux noirs, cheveux noirs
bouche ordinaire, menton rond
taille : un mètre cinquante-huit
signes particuliers : néant.
Un jour qu’il allait au travail
une fille au regard troublant
vint à passer sur son chemin.
Cela fit sortir de ses rails
le wagon de ses sentiments,
il leur vint donc l’idée de s’ coller le lend’main.
Tous les samedis soir, ils jouaient au billard.
Le troisième s’appelait Léon.
Il était chien dentiste et vivait de chicots
et dans sa vie privée, il avait des visions
Tous les lundis matin, il avait la bouche sèche,
y a qu’à la fin d’la s’main que l’on se porte bien.
Ses yeux avaient des reflets verts
cheveux châtain, nez en trompette
bouche ordinaire, menton rond,
taille : un mètre soixante-sept
signes particuliers : néant.
Un beau jour, il eut l’avantage
de s’aventurer par hasard
dans la chambre de sa servante
qui vivait au sixième étage.
Il y retourna tous les soirs
mais la douce Marie devint si fainéante
qu’il lui offrit son lit et lui paya une bonne.
L’ dernier s’ nommait Michel.
L’ dernier s’ nommait Michel, il était cuisinier
et dans sa vie privée, il avait la gravelle
Tous les lundis matin, sa mâchoire lui f’sait mal,
y a qu’à la fin d’la s’main que l’on se porte bien.
Ses cheveux étaient roux foncé
nez moyen, œils bruns
bouche ordinaire, menton rond
taille ? Un mètre quatre-vingts
signes particuliers : néant.
Un jour, il lui tomba la chance
de nouer quelques relations
avec la jolie Marinette
qui exerçait avec conscience
-de modiste- la profession.
C’est pour elle, un beau soir qu’il conçut la recette
de l’organdi en croûte à la sauce aux dentelles.
Comme ils étaient copains, ils s’habillaient pareil,
un pantalon crasseux, des bandes molletières,
une lourde capote en tissu pour chevaux
un fusil tout graisseux, d’ignobles godillots ;
Comme ils étaient copains ils ne se quittaient pas
ils mettaient tout ensemble et se partageaient tout :
nez busqué, nez moyen, nez droit, nez en trompette,
bouche ordinaire, menton rond.
Même, depuis un bout de temps,
comme ils étaient copains, ils s’habillaient pareil :
on ne f’sait pas d’jaloux : y avait pour chacun d’eux
un bon mètre de terre avec une petite croix.
Indécent sonnet
Rêveuse, elle songe
Par les contrevents
Le soleil levant
Près d'elle s'allonge
Telle dans un songe
Je la vois souvent
Mirage énervant
Chimère, mensonge
Continuez la suite… de Boris Vian !
?